Masha Gessen est journaliste au New Yorker et possède 11 livres à son actif, dont “Survivre à l’autocratie” et “The Future Is History: How Totalitarianism Reclaimed Russia” (non-traduit en français), qui a remporté le National Book Award en 2017.
Par Kelly SMITS et Rachel NOTTEAU – English version here
- Les informations doivent être considérées comme une fonction et une caractéristique essentielle des communautés locales.
- La pandémie de COVID-19, qui a touché toutes les populations, a mis en évidence la perte de l’actualité locale aux États-Unis.
- Au lieu de se concentrer sur les communautés locales, la couverture s’est focalisée sur les chiffres, les acteurs, les politiques et les débats, toutes ces choses qui sont des abstractions de ce que les gens vivaient réellement.
« L’actualité est quelque chose qui se passe dans votre communauté quand vous ne regardez pas. » Telle est la définition intuitive que Masha Gessen donne pour parler du traitement de l’actualité. Lors de son témoignage à la conférence des NPDJ, Gessen a souligné la perte des nouvelles locales, en particulier aux États-Unis, dans le contexte des crises que le monde connaît actuellement.
Cette perte est devenue évidente pendant la pandémie de Covid-19. De nombreux événements qui se sont produits au sein des communautés n’ont pas été rapportés par les journalistes. Au point où les individus ont utilisé les réseaux sociaux et non les médias pour s’informer.
Le manque d’informations locales pendant la crise du Covid a été l’une des plus grandes tragédies de la couverture médiatique de la pandémie selon Gessen. Or cette pandémie aurait pu être traitée comme un événement d’actualité locale classique dans la mesure où elle a touché des personnes que les lecteurs connaissaient. Au lieu de cela, la couverture s’est concentrée sur les chiffres, les personnes célèbres, les politiques et les débats. Toutes ces choses qui sont des abstractions de ce que les gens vivaient réellement. En conséquence, les médias ont donné le sentiment que toutes les personnes touchées par le Covid-19 étaient lointaines. Le virus n’est pas quelque chose qui arrive à “nous” mais à “d’autres personnes”, révèle Gessen.
Gessen prend pour exemple un des grands sujets d’actualité aux Etats-Unis concernant les conseils scolaires et notamment les débats autour de la réouverture des écoles, de la vaccination et du port du masque. Le sujet a été instrumentalisé par les partis politiques au lieu d’accorder plus de voix aux personnes concernées. Gessen a déploré la politisation du débat et le traitement médiatique du sujet par des journalistes qui “observent des réunions sur Zoom et écrivent sur des personnes qu’ils n’ont jamais rencontrées”.
En substance, une actualité qui aurait dû être une histoire hyper-locale est encore une fois devenue une abstraction, alimentant la colère et le ressentiment.
Cette abstraction constante ne nuit pas seulement à la capacité de créer des histoires qui ont du sens, mais aussi à la mission même du journalisme, alerte Masha Gessen.