Le journalisme au défi de se moderniser face au Covid-19

La pandémie de Covid-19 a révélé de façon accrue certaines difficultés auxquelles est confronté le journalisme : fausses informations, menaces sur la liberté d’informer, journalisme scientifique en déshérence… Plusieurs rapports se proposent de faire le point. Sans oublier toutefois de souligner que la pandémie a été l’occasion pour les médias d’innover, en revoyant leur organisation ou en proposant de nouveaux formats. 

 

Le journalisme professionnel est mis au défi de se réinventer.  Une « infodémie », dénoncée par l’OMS, se répand au côté de l’épidémie de coronavirus. Cette épidémie d’informations approximatives ou fausses se propage à l’échelle mondiale sur les réseaux sociaux, dans des proportions inégalées auxquelles l’UNESCO consacre deux études. L’ampleur de cette crise sanitaire nécessite que les médias occupent leur place et fournissent une information rigoureuse. Elle percute un monde de l’information qui souffre déjà de la défiance du partie du public à son égard. C’est aussi un coup supplémentaire porté à l’économie d’une industrie déjà fragilisée.

 

Et pourtant. Le premier enseignement qui semble se dégager de cette crise, d’après un rapport de l’UNESCO sur le journalisme au temps du Covid-19, est que les médias professionnels ont su s’adapter et se hisser à la hauteur de la situation. Le rapport du « Reuters Institute » de l’Université d’Oxford, en charge du suivi des médias pendant la crise du Covid-19, le corrobore. La confiance que porte le public aux médias professionnels s’améliore. Les trafics internet du New York Times et le Washington Post ont augmenté de 50 % en un mois. « Daraj », un média numérique panarabe a connu une hausse semblable. Et le même constat s’applique à de nombreux autres dans le monde d’après le site d’étude de l’information « Mediasupport ». Pour ce site, « s’il y a bien une lueur d’espoir dans la tragédie que représente cette épidémie, c’est l’éveil du public au rôle vital des médias indépendants dans leurs sociétés ». 

 

Montrer, plutôt que raconter

 

Le Coronavirus permettrait une prise de conscience face aux fausses informations qui circulent sur internet ? La question a été posée. Pour répondre à l’« infodémie » à laquelle nous sommes confrontés, une pratique se diffuse dans le Datajournalim : le principe du « Show don’t tell » [montrer plutôt que raconter]. Le service d’analyse des données de la Deutsche Welle, dirigée par Gianna-Carina Gruen en a fait son modus operandi : chercher, collecter, construire et mettre à disposition l’information. L’enjeu, particulièrement face à cette crise sanitaire, est de gagner la confiance du public. Le rôle du journaliste devient aussi celui du médiateur : montrer les données et les analyser en ligne. Plusieurs médias dans le monde l’ont fait. L’AFP a créé sa base de données, produisant les informations y compris dans les pays où les États ne les diffusent pas. Le quotidien britannique The Financial Times a vu les visites sur son site se multiplier par plus de deux grâce à sa page de suivi du Covid-19. La constitution des données n’est pas l’apanage du Datajournalism. D’autres acteurs entreprennent de documenter cette crise.  Le site d’analyse Blackbird a constitué des bases de données à partir des relevés massifs sur les réseaux sociaux contre les fausses informations. La fondation de recherche italienne Bruno Kessler a mis en place un site consacré entièrement à l’étude de l’« infodémie »

 

Menaces sur la liberté d’informer

 

Ces nouvelles pratiques tentent de répondre à la mise en danger de la libre-information qu’entraîne l’épidémie de coronavirus. L’Institut international de la presse (IPI) a recensé quelques 473 violations des libertés de la presse dans le monde, liées aux mesures contre le Covid, allant de l’arrestation et l’inculpation aux réglementations excessives en passant par la censure, les restrictions d’accès à l’information et les attaques verbales ou physiques. Les restrictions sur les droits de l’homme prises contre l’épidémie touchent-t-elle le journalisme ?  Dans tous les pays où la catégorie de « service essentiel » a été opérante, le journalisme y a été intégré. Et les journalistes ont été reconnus comme « travailleurs essentiels ». Le rapporteur spécial des Nations-Unies sur la liberté d’opinion et d’expression David Kaye a toutefois jugé nécessaire de réaffirmer la nécessité du libre accès à l’information dans son dernier rapport. L’Europe ne fait pas exception et l’IPI y a consacré une étude détaillant le phénomène des fake-news, la méfiance envers les médias, les atteintes aux libertés et à l’intégrité, parfois physique, des journalistes. Autre source complémentaire sur le sujet, Reporters sans frontières a mis en place un site d’observation des conditions de travail des journalistes dans le monde à travers ses réseaux. Chaque situation y est recensée et détaillée au jour le jour. Plus de 120 journalistes ont déjà été directement pris à partie. Le libre accès à l’information est la raison d’être de l’Open Knowledge Foundation. L’institution numérique milite pour le partage et l’accessibilité des données aux chercheurs, aux journalistes et au public. Le Datajournalism est, pour son ancienne directrice, Catherine Stihler, une des clefs essentielles pour relever ce défi.

 

Le défi du journalisme scientifique

À l’aune de ces enjeux, à commencer par la confiance du public, de nombreux questionnements ont vu le jour sur le fonctionnement des rédactions. Immédiateté de l’information, quantité et vérification scientifique de celle-ci sont examinées par les professionnels du monde entier. De telle sorte que des limites claires ont été observées et dénoncées. Dans le viseur, la machine médiatique et l’emballement qu’elle peut entraîner. « Vous a-t-on trop informés ? Trop tard ? Trop vite ? » La journaliste Catherine Boullay a posé ces questions à l’inauguration des Assises internationales du journalisme de Tours en octobre pour une « édition spéciale : informer au temps du Covid ». Le coronavirus a montré les limites des relations entre le monde scientifique et le journalisme. En France, l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI), n’a cessé de mettre en garde contre les avalanches d’experts qui ont occupé les ondes, parfois à tort et à travers. Dans notre pays, plus que d’autres, le journalisme scientifique demeure le parent pauvre de la profession. Le conflit qui oppose aujourd’hui les journalistes du mensuel Science et Vie au nouveau propriétaire Reworld Media est une illustration qui tombe à point nommé. L’association défend la place du journalisme scientifique et tente de convaincre de son importance face à l’épidémie. L’enjeu est de faire comprendre le doute scientifique et plus simplement d’expliquer les connaissances actuelles. Prises de parole et intervention dans les médias de l’AJSPI sensibilisent au manque de culture scientifique et de dialogue. Présenter la science comme un lieu de débat face au scepticisme ambiant est le défi de taille qui confronte le journalisme à sa responsabilité et ses capacités. 

 

Crise économique et télétravail

Le « Reuters Institut » a consacré un podcast sur la façon dont 2020 et la crise du coronavirus ont changé les rédactions à travers le monde. Son dernier rapport pointe les évolutions et limites des capacités des entreprises de presse. Embaucher et se diversifier dans les technologies numériques et en premier lieu le Datajournalism est plus difficile encore. En cause, l’accentuation de la crise économique que souligne également l’UNESCO. Les recettes publicitaires, pour ne citer qu’elles, ont fondu, jusqu’à moins 70 % pour certains médias d’après le Forum mondial pour l’expansion des médias qui a lancé un appel d’urgence pour les soutenir. Le fondamental traitement des données scientifiques est très souvent hors de portée pour des médias aux assises économiques fragiles. Le numérique devient néanmoins l’outil incontournable dans la vie pratique des rédactions. Le télétravail semble amené à perdurer au-delà de la crise d’après le rapport de l’institut d’Oxford. Toutes les rédactions interrogées apportent les mêmes nuances que Vincent Giret, directeur de France Info, interrogé lors de l’enquête : « les journalistes ont besoin de proximité physique pour débattre et échanger des idées, leurs expériences et innover ». Les réactions instantanées et collectives face à une information, élément constitutif du travail de journaliste, sont perdues dans le télétravail. Paradoxalement, les conclusions du rapport montrent que l’efficacité des rédactions a augmenté. Les défis posés par la crise du coronavirus ont entraîné une restructuration par le numérique des entreprises de presse. Et cette réorganisation semble, pour l’heure, se solder par l’adaptation des médias à l’heure numérique.

Un article de Nicolas Bove

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